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A Saint-Tropez, Colette à l’aube d’une révélation

Dans Le Fanal bleu (Ferenczi, 1949), son dernier livre, témoignage de sa persistance à travailler malgré les douleurs d’arthrite, admirable par sa lucidité à scruter les changements d’elle-même et de la société, Colette (1873-1954) déclare avoir d’abord pensé à la forme du journal. Elle y a renoncé car, écrit-elle, « choisir, noter ce qui fut marquant, garder l’insolite, éliminer le banal, ce n’est pas mon affaire, puisque, la plupart du temps, c’est l’ordinaire qui me pique et me vivifie ».
Mais l’ordinaire, sous sa plume, a l’attrait de l’extraordinaire, et, de texte en texte, on suit les aventures et métamorphoses de celle qui, en premier et toute jeune, sous le nom fictif de Claudine, puis prenant de l’âge et se rapprochant d’un « je » autobiographique, nous fait partager l’histoire de sa vie – une histoire constamment vivifiante, et qui ne cesse, quels que soient le livre que l’on ouvre, le mot sur lequel on tombe, de susciter une ardeur, une envie de découvrir, de savourer, et de préserver, intactes, nos ressources d’enfance, nos avidités, nos soifs. Tout ce dont Colette a trouvé l’inspiration dans la manière, à la fois paysanne et chamane, selon laquelle sa mère habitait la maison de Saint-Sauveur-en-Puisaye (Yonne), à l’unisson avec le rythme des floraisons et les signes avant-coureurs de la neige, en dialogue avec toutes les créatures vivantes. Une éducation poétique, dans son ouverture à l’immensité comme aux merveilles du minuscule.
Colette, lorsqu’elle quitte, à 20 ans, son village natal pour aller vivre à Paris avec son mari, Henry Gauthier-Villars, dit Willy, souffre de maladresse, de faiblesse, par rapport à un monde nouveau, excitant certes, mais tissé de frustrations. A Paris seulement et dans les parages du libertin Willy ? Non, l’emprise de ce sentiment de manque est beaucoup plus vaste.
Après son premier mariage, Colette a une liaison spectaculaire avec Mathilde de Morny, marquise de Belbeuf, « Missy » (ou « Oncle Max », comme elle l’exige de ses domestiques). Dans la nouvelle « Jour gris » (Les Vrilles de la vigne, La Vie parisienne, 1908), adressée à son amante, Colette décrit une crise de rage contre le vent, le froid, l’odeur d’iode d’un jour de tempête, et surgit une bouffée de nostalgie, quasi hallucinatoire, de sa campagne. « J’appartiens à un pays que j’ai quitté. Tu ne peux empêcher qu’à cette heure s’y épanouisse au soleil toute une chevelure embaumée de forêts. Rien ne peut empêcher qu’à cette heure l’herbe profonde y noie le pied des arbres, d’un vert délicieux et apaisant. » Mais en un deuxième mouvement Colette abolit le mirage et rejoint la signification, vitale, de cette appartenance. Ce pays, dont, par son fort accent, ses écrits, elle exprime la prégnance, lui a enseigné le désir. Le « jour gris » se termine par l’envie d’ouvrir portes et fenêtres et d’aller courir sur le sable.
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